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dimanche 9 novembre 2014

La légende de la Maison du Diable


Il existe une légende à l’entrée d’Aix les Bains qu’il faut découvrir. Plusieurs livres assez anciens en parlent longuement (merci google play). Il faut avouer que l’histoire autours de cette maison qui fut appelée longtemps la Maison du Diable est assez singulière. 

1853 Pierre Collet  "Le Lac du Bourget Causeries Historiques‘’:

   L’une des principales curiosités de la route de Cornin à Aix est sans contredit la Maison du Diable. C’est cette maison noircie par les années, que nous voyons depuis notre bateau, assise sur l’un des versants de la colline de Tresserve. Aucun document historique ne peut nous renseigner sur son origine, son nom mystérieux et son abandon. La tradition seule, aidée de bon nombre de légendes, se contredisant entre elles, prétend, selon M. de Fortis, qu’une jeune bergère séduite, disparut subitement du village; cet accident ne pouvait être attribué qu’au diable habitant la maison déserte, auprès de laquelle la jeune fille menait paître ses blancs moutons. Selon M"‘ Jenny Bernard, l’auteur du gracieux poème épique : le Luth des Alpes, un excentrique propriétaire aurait invoqué l’aide de Satan pour achever promptement la construction de son édifice. 


« Que du fond de l’enfer il apportait la chaux, »
« Et d’un souffle de flamme allumait les fourneaux. »

  Ce marché n’avait été conclu qu’en échange de l’âme du propriétaire, seule monnaie ayant cours aux enfers, dont le débiteur reculait toujours le paiement. Le diable disparut un beau matin, en emportant l’âme de son récalcitrant débiteur. Selon le Neptune, petit journal qui parait pendant la saison des eaux, un grand seigneur, détenu pendant longtemps, pour on ne sait quelle cause, dans les prisons d’Annecy, vint en ces lieux fixer sa demeure; la célérité qu’il mit à construire seul son habitation qui est ce noir quadrilatère que l’on voit aujourd’hui, fit croire à une intervention surnaturelle; sa vie mystérieuse, son existence solitaire, sa disparition, après quelques années de séjour, lui tirent attribuer les malheurs qui survinrent au pays, et son domicile désert fut désigné sous le nom qu’il porte encore. Vingt autres versions circulent sur cette étrange maison; il n’est pas besoin d’ajouter que dans chacune, messire Satan est toujours de la partie. Quel que soit le plus ou le moins de véracité de ces différentes légendes, il est un fait acquis que cette maison, dont M. Forestier est le propriétaire, est demeurée inhabitée jusqu’à l’an dernier (NDLR 1852 ?), époque à laquelle des habitants de Choudy, victimes de l’incendie qui réduisit en cendres leur village, vinrent demander asile à l’habitation déserte de Lucifer; nous n’avons jamais entendu dire que le maître des enfers ait, en aucune façon, troublé le repos de ses tardifs locataires. Un banc de grès, coupé à pic, forme la crête  de la colline sur laquelle sont assises la Maison du-Diable, et celle, plus moderne et plus blanche, habitée par le propriétaire. L’on jouit de cette élévation de l’un des plus admirables points de vue qui soient dans la campagne d’Aix..

Cette version suivante bien que très romancée reste de beaucoup la plus probable. Elle est proposée par Mr le Comte de Fortis en 1829 dans ‘’Amelie ou Voyage à Aix les Bains et aux environs’’ :

Un étranger que l’on conduit pour la première fois à la Maison du Diable, se figure qu’il va entrer dans quelque gorge sauvage, ou marcher sur les bords de quelques précipices semblables à ceux où le Guier roule ses ondes écumantes au dessous de la route de la Caille. Mais il est bien agréablement surpris, lorsqu’après un quart-d’heure de marche dans un joli chemin couvert d’ombrage, il atteint le sommet de la colline de Tresserve ou un vaste horizon se déploie à ses yeux. 

   De tout coté, la nature se montre sous des aspects riants, et varie admirablement ses tableaux. On lui indique une maison de campagne de peu d’apparence: c’est là, lui dit-on, la Maison du Diable! Mais où est donc le diable de cette maison? On n’en sait rien. On est alors sur la pointe de la colline de Tresserve qui se termine de ce côté, d‘une manière abrupte, par un banc de grès coupé à pic, d’une très grande élévation.
   Cette esplanade est l’un des plus beaux points de vue des environs d’Aix, pour jouir des diverses positions de la vallée. Au bas de ce plateau, l’œil se repose sur la riche prairie de Cornin, ombragée par de grands arbres et traversée par le ruisseau du Tillet; les regards se promènent sur tout le bassin du lac, et embrassent tous les contours de ses rives….

  D’où vient donc la singulière dénomination de Maison du Diable, si peu d’accord avec la nature agréable du site. 
  Ce nom a pourtant une origine, dont la tradition commence à se perdre. Le diable a-t-il habité ces lieux, les a-t-il désertés, y fait-il encore sa demeure ? pour beaucoup de raisons cela est intéressant à savoir. J’ai cherché à m‘en instruire, en y mettant tout le scrupule d‘un historien qui fouille dans les vieilles chroniques, et qui examine les traditions fabuleuses pour y découvrir la vérité.
   J‘ai adressé ma prière à cette fille céleste trop souvent enveloppée de ténèbres, et profanée, hélas! par ceux même qui s’en proclament les adorateurs. Voici ce qu’elle m’a appris au sujet de la Maison du Diable.

   Il y a environ 25 à 30 ans, la partie de la colline de Tresserve qui en forme ‘la pointe du côté du nord, était un lieu inhabité et beau coup plus garni de bois qu’aujourd’hui. Le joli chemin qui y conduit en sortant d’Aix, par la route de Genève, n’existait point; il formait le lit du ruisseau dans lequel les curieux passaient quelquefois, lorsque l’on détournait les eaux pour arroser la prairie.
  Un propriétaire de Chambéry, dont le nom est fort connu, possesseur de terrains considérables à la pointe de la colline, alors presque couverte de bois, avait fait élever les murs extérieurs et le toit de la maison que vous voyez aujourd’hui; mais il ne put en achever la construction, et abandonna son entreprise par suite de mauvaises affaires.   
   Cette maison, mise sous la main de la justice et devenue déserte, servait d’asile aux bergers dans les moments de pluie, et de retraite aux oiseaux de nuit. 
    Le chevalier de......, jeune homme d’une grande famille, était venu a Aix avec Madame sa sœur pour jouir des agréments de ce séjour; aimant la chasse, cultivant la botanique, venait souvent sur cette partie de la colline.

   Toinette, fille d’un bon fermier du village de Tresserve, situé à une demi-lieue de distance, y ‘amenait paître ses vaches. Le jeune chevalier la vit cueillir des fraises dans les bois. 
   Toinette avait 16 à 17 ans, de grands yeux bleus, des traits réguliers et assez expressifs, une chevelure brune, une physionomie douce et intéressante; ses joues étaient colorées de ce charmant incarnat qui embellit le teint des jeunes vierges au printemps de la vie.    
  Suivant l’usage des gens de la campagne de ce pays, elle allait pieds nus;,et malgré cela, elle avait un grand air de propreté; Adolphe De ....  l’avait remarquée; la pria de lui cueillir un bouquet de fraises. 
  Le lendemain il revint au même lieu. Ayant encore  rencontré Toinette, il lui dit qu’il viendrait déjeuner sous l’ombrage des grands châtaigniers, tout près de la maison; il l’engagea à lui apporter du lait et des fraises, qu’il paya sans doute généreusement.
   Ces promenades et ces déjeuners dans le bois se renouvelèrent plusieurs fois. On ne sait pas ce qu’Adolphe dit à la jeune bergère; mais Toinette, innocente et pieuse, alla voir M. le curé de Tresserve, à l’occasion d’une grande fête. Elle lui conta probablement la chose de point par point car on apprit que le respectable pasteur lui avait répondu: Mon enfant, n’allez point vers cette maison, ni dans ce bois: c’est la maison et c’est le bois du Diable.
  Toinette n’y reparut pas, et c’est inutilement qu’Adolphe vint l’y chercher. Ce jeune homme, né avec une imagination ardente, était dans cet âge heureux où l’esprit se repaît d‘illusions, et où les passions naissantes embellissent tout des plus riantes couleurs. Il avait à peine atteint sa dix-huitième année, son cœur ne s’était point encore ouvert aux impressions de l’amour. A ses yeux rien ne pouvait égaler la grâce, la beauté de Toinette; son air simple, sa naïveté, son regard céleste, étaient l’image des qualités de son cœur; et la nymphe de Calypso ne parut pas plus séduisante à Télémarque, que Toinette au jeune Adolphe. Suivant lui, elle méritait les hommages d’un prince, elle seule pouvait faire son bonheur. 
  Vainement, il l’avait cherchée, et sa disparition enflammant encore davantage son imagination, le portrait de Toinette le suivait partout: dans son égarement, il la demandait aux échos d’alentour; c’est ce qu’il avoua à Madame sa sœur, en lui confiant sa folle passion.
  Depuis quinze jours, il parcourait tous les environs dans l’espoir de découvrir sa demeure, lorsqu'il la rencontra conduisant une ânesse à Aix, pour donner du lait à une dame de Lyon, qui se servait quelquefois de cette monture.
    Lorsque Toinette venait à la ville, elle était chaussée; un petit chapeau de paille neuf, un corset rouge sans manches, une robe grise et une mise propre, lui donnaient une tournure encore plus ravissante; elle était jolie, l’on pouvait même dire qu’elle était belle; son air ingénue, image de son innocence, annonçait qu’elle ne s’en doutait point : elle ne s’aperçut pas du trouble du jeune chevalier, qui tressaillit à sa vue.
    Il comprit à sa réponse qu‘il s’était passé quelque chose d’extraordinaire relativement à ses entretiens avec elle sur la colline de Tresserve; et ne pouvant plus en espérer dans le même lieu, il lui demanda son ânesse pour se promener. 
   Ceux qui louent ces montures accompagnent quelquefois les promeneurs. Adolphe se plaisait à s’entretenir avec la jeune fille; il s’insinuait tout doucement dans son esprit par des propos familiers et des générosités à l’occasion des fruits ou des fleurs qu’il lui demandait. 
   Un jour, après avoir pris la route du village de Tresserve, et passé le pont du Tillet, il tourna à droite par le chemin qui est au pied de la colline. Toinette pensa qu’il voulait revenir à Aix par celui qui aboutit à la route de Genève; mais Adolphe se dirigea du côté de la Maison du Diable, où il avait fait préparer le déjeuner. 
    A l’entrée de ce chemin, les sages avis de M. le curé et l’idée du démon revenant à la pensée de Toinette, il apparut sans doute à son esprit sous ses formes les plus hideuses, avec ses cornes et ses ailes de chauve-souris: elle se troubla et refusa d’aller plus loin. Adolphe la sollicita, comme on peut le penser, et je n’ai pas besoin de dire combien il était pressant. Toinette rougit, elle versa des larmes. Le diable est rusé, il prend toutes les formes et toutes les couleurs: il y a apparence que le malin esprit se métamorphosant insensiblement, il se montra à Toinette tout couleur de rose; car elle se laissa entraîner, et revint plusieurs fois dans le même lieu. 


  Adolphe, forcé de se séparer d’elle, ne partit point sans lui répéter avec beaucoup d’ardeur les serments les plus solennels: il y a lieu de croire qu’ils étaient sincères, et qu’il avait l’intention de tenir sa promesse d’unir son sort au sien.
    Il lui laissa des témoignages de sa générosité; mais ils étaient trop considérables pour rester secrets ; elle les présenta à ses parents comme un don de cette dame à qui elle fournissait du lait, et lui en avait fait un l’année précédente. Ainsi l’innocente Toinette savait déjà mentir : c’est, dit-on, la première leçon du diable aux jeunes filles. 
     Ceci s’était passé dans le courant de mai. La dame étrangère, qui avait pris Toinette en affection, avait prolongé son séjour à Aix jusque vers le milieu de septembre. Elle remarqua que Toinette, dont le caractère était enjoué, était devenue triste et silencieuse; que souvent elle paraissait avoir pleuré. Enfin, pressée par ses questions, Toinette se jeta à ses pieds en fondant en larmes, et lui avoua la cause de son chagrin. Cette dame, touchée de la situation de la malheureuse Toinette, fit appeler ses parents; et, après l’avoir prise à son service, elle l’emmena à Lyon. Toinette y gémit sur sa faute; et le chagrin qu’elle en éprouva, joint à celui de ne plus voir réapparaitre Adolphe, l'affecta à tel point, que cette infortunée 



                                                 Languit comme une fleur de sa tige arrachée, 
Que les feux du soleil ont bientôt desséchée. 
L’éclat de sa beauté, la fraicheur de son teint,
Ses yeux tendres et doux, tout pétrit, tout s’éteint; 
Ainsi finit Toinette au  printemps de sa vie….

  Toinette ayant tout à coup disparu, ses jeunes compagnes et les jeunes gens du village en demandèrent des nouvelles. La mère répondit en pleurant, que le diable avait pris sa fille. l’aventure de Toinette ne put rester ignorée; et cette maison conserva dès lors le nom de Maison du Diable. 
  La tradition de ces faits et l’origine de ce nom s’étant perdues, comme cela arrive souvent pour des événements beaucoup plus importants, j’ai cru devoir vous donner ces renseignements, qui m’ont été fournis, bien des années après, par M. Rey, curé de Tresserve. 
 Depuis lors, diverses anecdotes sur ce bois et cette maison ont été un sujet d’amusement pour les étrangers qui viennent aux eaux; je me rappelle que quelques plaisants racontaient qu’un beau cavalier s’était mis à genoux aux pieds d’une dame dans le Bois du Diable. 

Mais où se trouve cette fameuse maison et qu’est-elle devenue ? Un élément de réponse est fournit par un article de l’essor savoyard sur la communauté juive d’Aix Les Bains et son école Talmudique:

Elle est directement liée à la création en 1945 de l'école talmudique. Dans les années 30 il n'y avait qu'un seul centre d'étude de la Torah et du Talmud en France, c'était la Yeshiva de Strasbourg. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Yeshiva doit fermer ses portes. Elle rouvre après la guerre à Aix-les-Bains, 50 montée de la Reine Victoria, où elle s'établit définitivement. À l'époque, la bâtisse était appelée la Maison du Diable. Personne ne voulait l'acheter. Le grand rabbin avait jugé à l’époque que c'était une bonne occasion, surtout que le site est calme et agréable. Au début, le nombre d'élèves se comptait sur les doigts d'une main. Petit à petit, l'école attirait de plus en plus d'étrangers. On formait les jeunes et pour la plupart ils finissaient par s'installer à Aix et par fonder une famille.



La fameuse maison est donc maintenant un lieu d’enseignement religieux !

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